Il faut forcer pour que l’inclusion se fasse. Forcer les portes des centres de loisirs et des colonies de vacances, forcer les portes des établissements scolaires, forcer les portes des espaces et des structures de pratiques sportives, de pratiques artistiques, culturelles, celles des employeurs…
Parce que sans forcer, peut-être même sans obliger, sans contraindre, ça ne se fera pas. Ou si peu. Ou ça fera semblant.
Mais il faut accompagner cette inclusion pour qu’elle soit possible. Aménager, adapter, former. Il faut aussi que les professionnels (enseignants, soignants, éducateurs, psychologues…) se rapprochent des usagers concernés et de leurs parents. Et tant mieux, car la question posée est ici incontournable alors que jusque-là elle était trop souvent évacuée. Vive les « pas normaux » qui conduisent à interroger les routines !
Voila, c’est dit. Ou plutôt rien n’est dit, parce que rien n’est simple. On est ici dans un tour de passe-passe sémantique : puisque exclure c’est évidemment mal, alors il faut inclure. Et comme avant on n’incluait pas, c’est donc que les institutions d’accueil étaient – et sont- excluantes. cqfd. Et encore faut-il s’entendre sur cet « inclure » : est-ce faire une – petite – place à l’école (quand l’avs est là) même quand l’accès aux opérations mentales complexes est impossible, avec à la clé des triplements de cp ou de ce1 et ensuite la fin des illusions ? Est-ce regarder les autres pratiquer des activités que l’on ne peut pas pratiquer soi-même ? Et… et ceux et celles qui ont besoin d’un milieu protecteur et protégé pour vivre bien ? Et ceux et celles qui ont besoin d’une attention régulière pour tenir ? La « société inclusive » ne peut pas tout !
Tout ceci est appuyé sur la récupération et l’extension d’une recommandation du Conseil de l’Europe dont l’origine visait les dépotoirs et les mouroirs de handicapés, enfants et adultes, produits par quelques régimes d’Europe centrale [1]. Alors oui, il fallait désinstitutionnaliser pour supprimer ces monstruosités. Mais revoici une nouvelle fois le pauvre bébé jeté avec l’eau du bain, et l’opprobre jetée sur toutes les institutions spécialisées, accompagnement de jour ou internats, enfants et adultes, autant d’espaces de vie possibles pour des personnes qui sans cela seraient perdues dans la jungle des villes et de la vie. Pourtant, la plupart de ces espaces, de ces institutions, n’ont pas attendu les orientations et les manifestes inclusifs pour s’ouvrir, se jumeler avec des extérieurs, pour construire des partenariats, afin de réduire le plus possible les frontières, les barrières, entre la Cité, l’établissement et leur public.
Et voici qu’apparaît la nouvelle « Stratégie nationale pour l’autisme 2018- 2022 », plus diserte sur la possibilité pour certains de s’inscrire en université que sur l’accompagnement spécialisé nécessaire à vie pour beaucoup, renvoyé au guide des bonnes pratiques qui devient imposition. Et voici l’« Instruction financière du 15 mai 2018 pour les établissements sociaux et médicaux sociaux » qui va dans le même sens, unique, en fixant comme seul objectif aux pratiques l’inclusion, l’inclusion, l’inclusion. C’est beau, mais c’est terrifiant de systématisme et d’oubli de quelques réalités. Triomphe de la pensée binaire !
Pourquoi en est-on arrivés à cet extrême ? Il y a eu l’horreur des orphelinats roumains, et il y a toujours celle de quelques établissements français qui restent immondes derrière leurs portes bien fermées. Il y a la souffrance des familles, des parents, laissés sans solutions et parfois maltraités par les fonctionnements institutionnels. Il y a le refus de certains, parents, associations, d’entendre que quelquefois il s’agit de psychopathologie et pas si simplement de handicap. Il y a l’effet individualisant qui a transformé tout citoyen en consommateur égoïste, exigeant de faire valoir ses droits, qu’il pense être évidemment le seul à pouvoir déterminer et dont il est hors de question d’interroger collectivement le sens.
Alors inclure, oui, mais en finesse, pas dans le tout ou rien, pour une inclusion qui ne se fasse pas au détriment de ceux qui vont en souffrir parce qu’ils sont trop fragiles, trop vulnérables ! L’inclusion pour tous et forcée fait violence aux plus vulnérables en niant leurs besoins de protection.
François Chobeaux
Avec les avis critiques de Dominique Besnard, Monique Besse, Rozen Caris, Jean François Gomez, Lin Grimaud, Carine Maraquin, Jean-Pierre Martin, Joseph Rouzel, David Ryboloviecz
Notes :
[1] https://rm.coe.int/09000016805cfa8a