Que devient le métier d’« éducateur », ce terme générique qui signifiait pour Jacques Ladsous l’accompagnement, le soutien, la proximité, l’engagement ?
Il a progressivement été morcelé en diverses fonctions et en divers niveaux de classification. Il est aujourd’hui question que certains de ces éducateurs, ceux qui sont « spécialisés », accèdent à un grade universitaire et deviennent « coordonnateurs ».
Et la relation dans tout ça ? Éducateur rime peu à peu avec ordinateur, et moins avec public, contact, partage. Mais des jeunes, et des vieux, renâclent, résistent, s’accrochent, et inventent.
Un dossier qui croise analyses et témoignages, paroles et réflexions, pour réfléchir à l’avenir d’une profession.
Il y a un an Jacques Ladsous décédait.
C’était le 16 avril 2017.
Cette figure de l’action sociale et des éducateurs avait consacré sa vie à la promotion d’une action éducative humaniste, engagée, exigeante. Il avait été parmi les pionniers qui ont contribué à la création du dispositif de protection de l’enfance, des diplômes de l’éducation spécialisée, de la branche professionnelle avec ses conventions collectives…
Jacques Ladsous était un militant des ceméa, où il avait effectué une grande partie de sa carrière professionnelle comme formateur, puis comme directeur d’un centre de formation.
C’était aussi un compagnon de notre revue vst. Son « Carnet » régulier, puis ses contributions à l’occasion des dossiers montraient ses exigences, ses espoirs, et sa volonté de transmettre les valeurs qui l’avaient structuré. Le comité de rédaction de vst a décidé au printemps 2017 de publier un dossier sur les éducateurs afin de faire vivre la pensée de Jacques.
Non pas un dossier nostalgique et militant fait des souvenirs de ses compagnons de route, mais un dossier d’avenir, qui parle de l’avenir des éducateurs et de l’éducation spécialisée.
Que disent, que pensent les éducateurs spécialisés aujourd’hui ? Ce sera la première partie de ce dossier. Que disent de leurs rêves, de leurs envies et de leurs inquiétudes des jeunes qui viennent d’entrer en formation ? Puis que dit Sophie Augais, une toute jeune diplômée, de son entrée dans le métier ? Qu’en disent Valérie Noël et Lionel Machut, des professionnels expérimentés qui ont commencé par le bas de l’échelle ?
Qu’en dit Loup Marie Denis, un éducateur devenu coordonnateur et qui affirme qu’il est toujours éducateur ? Et ce métier, comment y accède-t-on aujourd’hui ? Jacques Ladsous avait soutenu toute sa vie le besoin de dispositifs de promotion sociale permettant des accès variés aux diplômes professionnels. Alors, avec Gilles Van Aertryck et Françoise Benard, nous allons parler de la vae, cette vae rejetée avec mépris par les pensants bien installés mais voie légitime – et difficile – de reconnaissance pour les professionnels en poste. Tout cela sans naïveté : cette première partie se ferme avec la contribution de Didier Bertrand qui montre, au titre du mouvement Avenir éducs, les inquiétudes à avoir sur des avenirs possibles.
Deuxième partie, nous avons demandé à des grands témoins et acteurs du métier de nous faire part de leurs réflexions. Michel Chauvière décode les actuelles grandes manœuvres institutionnelles et politiques, en pointe les dangers, et propose une grille d’analyse de l’éducation spécialisée qui peut permettre de trouver des arguments de lutte. Michel Lemay s’adresse directement aux éducateurs en leur disant tout ce qu’il voit et comprend des complexités structurelles, permanentes, de la mise en oeuvre de leur métier, et de la façon dont ces professionnels agissent dans cette complexité. Joseph Rouzel montre que, dans cette période de grands changements institutionnels et professionnels, un fil rouge doit continuer de guider les éducateurs : fabriquer de l’humain. Pour clore cette seconde partie, Philippe Gaberan inscrit à son tour les éducateurs dans une bataille nécessaire qui doit préserver la qualité des pratiques, et propose quelques axes d’action et de travail pour cela.
Troisième et dernière partie, un retour sur la philosophie et sur l’éthique du travail social, de l’éducation spécialisée et des éducateurs.
Le groupe spire, réunion durant plusieurs années de professionnels du secteur et de compagnons de route (administrateurs, magistrats…), nous parle d’éthique quand il dit quel « social » il voudrait voir maintenu et développé. Jacques Ladsous faisait partie de ce groupe. Puis nous fermons ce dossier, en laissant la conclusion à Jacques avec un verbatim de ses pensées, paroles recueillies il y a deux ans par Nathalie Auguin-Ferrere et Nada Abillama-Masson.
Une citation pour finir : « Il n’y a pas d’incasables. Mais il n’y a pas non plus, pour qui que ce soit, de parcours linéaire. Nous ne retrouverons pas la morne tranquillité des Trente Glorieuses au cours desquelles certains ont perdu l’intensité de leur désir pour une sécurité mortifère. La formation au-delà des connaissances retrouvera la dynamique d’un élan vital et qui se remobilise chez beaucoup… Alors, comme le chante le poète : “tout pourra recommencer” (J. Prévert). »
C’était la conclusion, signée Jacques Ladsous, du dossier publié dans l’excellente revue Empan [1] : « Éducateurs spécialisés, cinquante ans après le diplôme d’État ».
Dossier coordonné par François Chobeaux, avec la collaboration de Rozenn Caris et Joseph Rouzel
Notes :
[1] Empan, n° 106, juin 2017.