La psychiatrie publique française va mal. Très mal, même. Non pas que toute la psychiatrie aille mal ! Les psychiatres libéraux, installés où ils le souhaitent et prenant les patients qu’ils veulent, vont fort bien. La psychiatrie hospitalière privée également, comme le montre le tout récent rapport de l’igas (Inspection générale des affaires sociales) [1]. Mais la psychiatrie pour tous…
Ça va mal du côté des soignants. On forme assez de psychiatres nous dit l’igas, mais après ils ne s’engagent pas (assez) dans le service public. Mais on ne forme déjà plus assez de pédopsychiatres. Et on ne forme plus d’infirmiers dits « de secteur psychiatrique » depuis 1992, grâce au lobby des associations d’infirmiers diplômés d’État et aux mesures européennes qui ont eu la peau de ce diplôme particulier.
Ça va mal du côté des murs. Certes, il y a eu des crédits pour construire des chambres d’isolement et installer des caméras de surveillance, mais pour le reste…
Ça va mal du côté des façons de soigner. On est dans le tout chimique, le tout médical, la contention si ça coince, et vite fait retour à la maison sans réel accompagnement jusqu’au prochain épisode. Sans parler des inégalités territoriales dans l’accès aux soins et des files d’attente en centre médico-psychologique.
Ça va mal – là aussi l’igas est sévère – dans les façons d’installer territorialement et administrativement la psychiatrie. Conflits, flous et chevauchements de territoires, donc conflits de pouvoirs, de finances, d’orientations, de priorités.
Ajoutons, réflexion où l’igas ne s’engage pas, la lourdeur et parfois la bêtise des organisations propres aux hôpitaux. Voir les témoignages accablants sur #BalanceTonHosto. Ajoutons à cela l’envahissement de la clinique par les protocoles, procédures, guides, conseils, évaluations normatives, bonnes pratiques et autres. Et voici la tarification à l’acte qui approche, qui va encore plus réduire la clinique à des techniques codifiées et observables.
Tout cela alors que l’époque n’est pas vraiment au bonheur, et qu’évidemment cela retentit sur la santé psychique, sur la maladie, sur les décompensations…
Heureusement, notre ministre de la Santé vient de prendre douze grandes mesures d’urgence pour tout changer… qui ne changeront en rien l’état des lieux qui précède. Rien sur la conception même du soin de plus en plus éloignée de la psychiatrie dite « sociale », ouverte. Rien sur la place des collectifs, des usagers, des citoyens dans cette psychiatrie 2.0 à réinventer mode 2018. Rien sur la formation et la présence des soignants.
Ou seulement des bricoles, des rustines, pas mal d’âneries… du vent. Pourtant, ça alerte et ça résiste. Collectif des 39, Appel des appels, Croix Marine-Santé mentale France, mobilisations des personnels… Mais cela ne suffit pas. Il y a besoin d’imaginer et de proposer une autre psychiatrie que celle qui se met en place, qui soit riche des acquis et des bilans de la psychiatrie sociale, pensée non pas dans la nostalgie des « années secteur », alors trop facilement idéalisées, mais dans la volonté de la reconstruction et de la garantie d’un service public moderne, respectueux des patients. Mais surtout pas une construction uniquement entre-soi, entre professionnels-techniciens, parce que la psychiatrie, la folie, c’est l’affaire de tous.
Voilà le chantier dans lequel s’engager pour refonder la psychiatrie publique : proposer une nouvelle construction, en mettant en question l’existence et le rôle des agences nationales (évaluation, pratiques), des agences régionales de santé, en attaquant de front la psychiatrie libérale et privée, en maillant des alliances avec les acteurs politiques et sociaux et les usagers…
Et cette psychiatrie de 2018 doit être l’objet d’une construction rêvée à plusieurs, comme dans le passé le Groupe de Sèvres a construit les bases de la psychiatrie de secteur. Organisations professionnelles et sociales, groupes de pensée, administrateurs engagés, responsables politiques actifs, tous ensemble ? Pour une psychiatrie faite et défaite par tous…
François Chobeaux
Avec les contributions de Dominique Besnard, Hervé Chambrin, Yves Gigou, Jean-Pierre Martin, Joseph Rouzel.
Notes :
[1] A. Lopez et G. Turan-Pelletier, Organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960, Inspection générale des affaires sociales, novembre 2017, n° 2017-064R.